Impressions de Bastille, un 18 Mars...

...à douze heures, il y a déjà des camarades partout. Dans les restos bondés de militants, on dîne en famille, entre copines, même le serveur s'est badgé. Une femme a déchiré consciencieusement son autocollant "Égalitée" pour supprimer la faute d'orthographe. Il est tombé une bonne averse et l'éléphant des Fralib est encore recouvert d'une bâche. La foule dans le défilé est extraordinairement dense. Faute de ballons pour se repérer, les cortèges se sont mêlés. Pas de surexcités, mais des sourires, ravis et goguenards, des plus anciens surtout. Ceux qui ont mis des drapeaux rouges à leur fenêtre se font acclamer. Alee chante sur le camion, manque de tomber au coup de frein ; le public est dans sa poche. Les gens se parlent, une mamie me dit « qu'il était temps ».

Des slogans « résistance » circulent dans le cortège, font des allers et retours quand entendus ils sont repris et échangés.

Des gens du cru me proposent un verre du Morgon, qu'ils promènent dans un petit tonneau, comme aux camarades aux alentours. Sur le côté, on entend durant quelques secondes des chorales qui ont écrit leurs propres paroles. La nouvelle constitution sera chantée ou ne sera pas. On aimerait s'arrêter, tout entendre, tout voir. Il faudrait la refaire dix fois, cette marche ! Un gamin de dix ans crie ses premiers slogans dans son petit mégaphone en plastique. Les gens brandissent fièrement des slogans faits maison. Il y a des bonnets phrygiens partout, partout ! Les femmes, on dirait des milliers de Marianne dans la foule.

Avec Philippe et Claude on devait se rejoindre, mais l'un est déjà à Bastille, l'autre encore à Nation et la foule est trop dense pour la fendre. Au meeting, les visages se tendent, il y a un silence étonnant. On cherche à comprendre, pas à acclamer. "On lâche rien", après l'internationale et la marseillaise, est presque devenue notre hymne ; il fallait voir la ferveur, les chants et les danses, la cohue et la joie. Parfois, l'émotion nous traverse, mais au-delà, la situation nous transit. Quand on sent, quand on comprend que le combat ne s'arrêtera plus. Ces moments là, ils vous brûlent comme dans une forge, on ressort en acier.

Sur le retour, on discute encore, les camarades s’essaiment dans les boulevards. "C'était réussi". "On mangerait bien quelque chose". On critique en riant le portrait du candidat d’un impayable style stalinien. J'entends : « Les gens de gauche, ce sont pas des voyous, ce sont des gens biens ».

Je regardais autour de moi, tout-à-l'heure, pour voir à quoi nous ressemblions. En vérité : nous ressemblons à tout le monde, nous sommes le peuple. Notre cœur est cette braise que l'injustice comme un vent toujours rallume. Des petites étiquettes « utopiste debout » ont fleuri aux épaulettes et au cœur des marcheurs de la république.


[Un texte de Loup Bleu, rencontré sur la page Facebook de Jean-Luc Mélenchon]

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